LA HALLE AUX DEUX SOLEILS



Dans la halle aux verriers de la manufacture, deux fours-soleils alimentent les verriers en cristal. À 1 450 degrés, la matière en fusion atteint plus du quart de la température régnant à la surface du Soleil. En Moselle, l'hiver, il fait ainsi chaud comme un été en Méditerranée. Les verriers sont bras nus.



« C’est une affaire de corps. Immergés dans la pleine lumière d’un jour d’été, nous sommes étrangement augmentés. La lumière éclaire les parties de notre corps, rabaisse le son de notre voix. Le soleil nous rend étrangement silencieux», décrit Emma Carenini. La philosophe s'est interrogée sur les penseurs héliotropes qui ont cheminé à partir de ces effets physiques. Parmi eux, Nietzsche ou Camus, aux origines de la «pensée de midi», née à la lumière de la Méditerranée. Elle interroge nos vies sous le prisme de cette énergie prodigue, considérée comme un bien commun depuis l’Antiquité mais toujours indomptée par les êtres humains, alors que se pose aujourd’hui la question des ressources énergétiques.



« La première fois que je suis entré à la manufacture, j'avais 23 ans, glisse Christophe Enaux, tiseur. C’était un intérim. J’ai été aimanté par la lumière du cristal, sa chaleur. » Depuis plus de deux décennies, l'artisan veille sur l’alimentation du feu et sur la fusion du cristal. Il raconte comment l’observation attentive devient méditation. Décrit les éclats du magma qui fascinent, le rougeoiement qui varie sans cesse, comme un feu ou les reflets du soleil sur la mer.





La nuit ou le week-end, quand tout est calme, les heures passées à veiller à la manufacture retrouvent leur malléabilité stellaire. Comme lorsque le cadran solaire de l’Antiquité n'indiquait pas l’heure, mais la position d’un être humain par rapport aux planètes. Un ancrage quotidien et rassérénant dans l’univers vaste et mobile du système solaire, que nous avons perdu en décalant nos horaires de ceux de notre étoile.À la lecture de l’aiguille, les verriers ont substitué celle de la chaleur. Ils lisent la température dans la couleur du cristal en fusion. C’est elle qui donne le rythme aux gestes verriers.

 

«Plus la lumière est pâle, plus la matière est chaude, comme le soleil au zénith. À l’inverse, les rouges témoignent de son refroidissement, à l’instar du soleil approchant du crépuscule », explique Tristan Ladaique, responsable de production. « Cette intime compréhension du cristal est inaccessible aux non-initiés, poursuit l’ingénieur. Elle requiert des années d’observation et de pratique patiente. »



Ce dialogue silencieux entre l’homme et la matière fait souvent dire aux verriers que la matière est vivante. Elle palpite, éructe ou s’affadit. Après l'avoir «cueillée» au four et piquée comme un petit soleil au bout d’une canne en métal, les verriers soufflent et sculptent cette matière presque liquide qui, d’un outil à l’autre, s’écoule comme un miel stellaire. Elles sont ainsi des dizaines de boules de feu en orbite autour des fours. Une danse satellitaire, intraduisible au visiteur de passage. Et pourtant, l’énergie créatrice de la fusion agit sur tous, indifféremment. Comme le Soleil, la fusion est source de vie et de métamorphoses. Depuis plusieurs siècles, cette puissance de la matière aimante les verriers et les voyageurs venus de loin, parfois de l’autre côté de la Terre, pour rêver à l’impossible — approcher le Soleil.

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